Dame de cœur loin des yeux
La quête du célèbre vestige chalossais n'est pas de tout repos. Au bout, une surprise de taille attend le curieux....
Le mastabat qui abrite le musée dédié à la Dame de Brassempouy, statuette représentant un buste féminin sculpté dans de l'ivoire de mammouth au paléolithique supérieur. photo P. et E. RAFFY, architectes
Du haut de ses 25 000 ans - et de ses 3 centimètres ! - la Dame de Brassempouy ne cesse d'attirer les convoitises, je n'étais donc qu'un prétendant parmi d'autres à venir tenter de la rencontrer, sur ses terres, d'où l'archéologue Édouard Piette l'exhuma en 1897.
La belle n'est pas une femme, mais la représentation d'un buste féminin sculpté dans de l'ivoire de mammouth au paléolithique supérieur (- 36 000 à - 10 000). Gardez-vous de tout jugement trop hâtif sur son grand âge ou sur l'unique ride (due au desséchement de l'ivoire et aux mauvaises conditions de conservation) barrant son visage, car ils ne suffisent pas à la rendre disgracieuse… Bien au contraire.
Les hommages rendus à la beauté éternelle de la Dame à la capuche sont à ce titre assez éloquents. Un timbre à son effigie, sorti en 1976, vantait ses charmes. Quatre ans plus tard, la grotte où elle fût trouvée se voyait classée monument historique. Il fallait se rendre à l'évidence, je n'étais pas le seul sur ses traces.
Trois millénaires Armé d'une simple photo, je me mis donc à sa recherche en espérant pouvoir la rencontrer même s'il reste entendu que ma chère est en os. Une fois entré dans son village de Brassempouy, le ressenti est saisissant, le calme, plat, et l'atmosphère qui y règne nous renvoie aux siècles de vie passés entre ces murs. En reposant pendant près de trois millénaires dans la terre argileuse de cette cité fortifiée à l'architecture intemporelle, la Dame n'a pas choisi l'endroit le plus désagréable. Un lieu « digne de l'accueillir », disent les archéologues.
Toujours à ses trousses, je me retrouve aux abords de l'église Saint-Sernin, édifiée au XIIe siècle, où se dresse une charmante bâtisse indiquant l'entrée de la Maison de la Dame. Ma promise ne serait donc plus bien loin.
En pénétrant dans le musée, il me semble l'apercevoir, parée de la plus belle des lumières et trônant au milieu d'une vaste vitrine… barrée de la mention « souvenirs ». Il ne s'agit que d'une pâle reproduction. Ma déception est d'autant plus grande quand j'apprends que ladite hôte de ces lieux ne l'est plus, depuis son déménagement au Musée national d'archéologie situé dans le château de Saint-Germain-en-Laye, en 1904.
Ce départ résulte de la décision prise par Édouard Piette, à l'époque où les archéologues devenaient possesseurs de leurs trouvailles, de rassembler sa collection dans une des pièces de la demeure où naquit Louis XIV.
Unique en son genre Qu'à cela ne tienne, d'autres vestiges préhistoriques, et plus précisément d'autres statuettes de femmes, ont été trouvées dans la grotte du Pape, située à environ 2 kilomètres du centre de Brassempouy. Car le site est considéré comme le plus important du pays en termes de sculptures féminines puisqu'on en a découvert neuf, sur les 250 répertoriées dans le monde. Le problème, c'est que les huit autres n'ont ni la finesse de traits, ni la précision dans la forme de la coiffe de la star du village, quasiment unique en son genre dans le monde.
Les autres sculptures exposées au musée - en plus des multiples objets datant de la même époque, comme les pointes de flèches, les ossements d'animaux ou les morceaux de parures fossilisés - sont bien plus communes dans le milieu archéologique car réalisées de manière grossière. C'est en tout cas ce que l'on pense de prime abord.
À y regarder de plus près, on se rend compte que les sculptures représentent une tout autre partie de l'anatomie féminine. Les organes évoquant la sexualité et la reproduction y sont caricaturés à l'extrême dans le but de symboliser la fertilité, selon les déductions des spécialistes.
Le plus étrange, c'est que d'autres statuettes, quasiment identiques, ont été retrouvées un peu partout en Europe, de la France à la Russie, en passant par l'Autriche. Il en a été déduit que les hommes ne se cantonnaient pas, à l'époque, dans un périmètre géographique restreint puisque les techniques et les matériaux utilisés étaient les mêmes.
Cette similitude dans la représentation de la femme rehausse l'intérêt et accroît le mystère planant autour de la Dame de Brassempouy : pourquoi la représentation d'une tête quand les autres statues ne sont que des corps taillés dans l'ivoire ? Comment une telle finesse a-t-elle été rendue possible lorsque l'on sait que cette trouvaille inestimable s'inscrit dans une des périodes préhistoriques les plus anciennes ?
Le mystère reste entier… et c'est bien pour cela que la Dame attise toujours les passions.